MER(E), PARDON
PARDON
En Armorique la fête de la mer existe plutôt sous le nom de “Pardon de la mer”. Le Pardon est une forme de procession propre à la Bretagne. Ce rituel est le résultat d’un syncrétisme entre la continuation d’anciens rites païens et l’arrivée de la religion chrétienne. Ainsi on retrouve des caractéristiques propres à ces deux pratiques spirituelles dans le Pardon: Les rites païens célèbrent et honorent les cycles de la nature et se déroulent en procession extérieure vers des lieux sacrés, comme le sommet d’une colline par exemple:
“Un certain nombre de pardons, en particulier ceux qui avoisinent les dates du 24 juin et 1er aout, ont christianisé d’anciennes festivités celtiques. Le 24 juin, jour du solstice d’été, donnait lieu à des rites solaires conservés de nos jours par les jeux de la Saint Jean. Le 1er aout, se déroulait la célébration du dieu Lougos, le Lugnasad irlandais.”
la foi chrétienne quand à elle invite à se repentir pour ses fautes et péchés:
“La pénitence est traditionnellement constituée par le long trajet qu’il faut parcourir à pied pour s’y rendre, et par l’épreuve physique que créent l’assistance aux nombreux offices, et la longue procession en lourd costume de velours brodé." (Guide de la Bretagne mystérieuse)
Bannière Saint Corentin, 1953, réalisée par Pierre Toulhoat
Jean-Michel Guilcher définit le Pardon comme étant une « fête qui se tient à date fixe en un lieu consacré pour honorer et prier le saint patron du lieu » et « l’un des fondements de la vie religieuse et sociale des Bretons »
Il existe des pardons de différentes ampleurs, selon le Saint auquel il est dédié. Certains se déroulent en procession circulaire, on parle alors de Troménie.
Pour le pardon ou fête de la mer, c’est sous la bannière d’une Sainte que l’on se réunit: Sainte Marie. Qui d’autre que la mère du Christ pour faire le lien avec la mer ?
Le 22 juillet 2025, lendemain du solstice d’été, j’ai participé au pardon de la mer de la petite chapelle en bas de chez moi (quelque part en finistère).
Comme pour tout pardon, les costumes traditionnels ont été sortis des placards, de la chapelle sont sorties les bannières brodées à l’effigie de ses saints protecteurs, puis ce petit monde s’est mis en marche tous ensemble derrière les bannières guidés par le son du biniou, jusqu’au sommet d’une colline (où se trouve encore aujourd’hui des menhirs, ce qui laisse supposer que ce lieu était déjà un lieu sacré dédié à des rituels bien avant le syncrétisme).
Au sommet de cette colline, des prières en breton ont été chantées, puis l’on s’est avancé vers la mer que le prêtre a béni selon la foi chrétienne. De là, on a contemplé la mer en chantant un autre chant breton, avant de faire le chemin inverse de retour à la chapelle.
Je ne pratique pas la foi chrétienne, mais j’ai souhaité participer d’une part parce que j’aime l’idée de se réunir entre humains pour honorer quelque chose de plus grand que nous, surtout si ce quelque chose est le territoire sur lequel on vit. Cela renforce notre lien avec lui, et entre nous aussi.
D’autre part parce que ce rituel prend racine dans un rituel beaucoup plus ancien que la foi chrétienne, et qu’il m’importe de contribuer à cette continuité, pour nourrir la mémoire collective. La forme a changé de costume, mais l’intention et le message restent les mêmes, ancrés sur le même lieu à travers le temps.
D’ailleurs, l’origine païenne des pardons est encore bien visible:
“Les Pardonneurs se prêtent à des rites et à des pratiques que l’église a parfois mais en vain tenté d’interdire au cours des derniers siècles : triple circumbulation autour du sanctuaire, baiser des statues et des reliques, ablution aux fontaines, accolement de mégalithes, embrasement de bûchers, offrandes et invocations, chants et danses, jeux... » (Bernard Rio, Pardons de Bretagne)
LE SILENCE DE L’OCÉAN
Philippines, 2017
La pratique de rituels pour la mer se retrouve partout autour de la planète là où les humains vivent près d’elle. Que ce soit à Hawaii, sur les côtes de Colombie là où vivent les Kogis, au Japon, sur les côtes du continent Africain,aux Philippines, en Indonésie… Parfois le rituel honore la mer directement, parfois une divinité la représentant.
A Bali, île d’Indonésie, un de ces rites est encore pratiqué, une sorte de pardon de la mer indonésien. Ce rituel c’est le Niepy Laut, “le silence de l’océan”. Contrairement à nos fêtes de marins, ce jour là il est strictement interdit de prendre la mer ni même de se baigner. “En accordant un jour de repos à la mer, les habitants démontrent leur gratitude envers les générosités reçues par celle-ci. L’occasion aussi pour la mer de se régénérer.”
“Pour rendre hommage au Dieu des océans, les habitants des îles de Nusa Lembongan, Nusa Ceningan et Nusa Penida pratiquent la méditation et la contemplation silencieuse sur l’importance de l’environnement aquatique et la nature en général.”
Image: rituel du Niepy Laut à Bali de "Spirit of Asia" par Michael Macintyre
MOT DE LA FIN
A la fin du pardon, je suis descendue sur la plage se trouvant au pied de la colline sur laquelle nous avons chanté. Un curieux visiteur se tenait là tranquillement: un phoque!
Un messager de la mer?