CARNET D’EXPLORATION: MERSEA

J’ouvre mon premier carnet d’exploration avec le thème de la Mer. Je n’y ai pas réfléchi plus que cela, c’était là comme une évidence. La mer est omniprésente dans ma vie depuis que je l’ai retrouvée en venant vivre en Bretagne, sur la terre de mes ancêtres. Quand on est dans la péninsule armoricaine il y a cette sensation proche de celle qu’on a quand on vit sur une île. Même en plein Kreiz Breizh (centre bretagne), souvent le vent nous amène quelques embruns pour nous rappeler que la mer n’est jamais très loin. Mes pieds m’ont amenée jusqu’au bout de la péninsule, la fin de la terre, ou le début, Penn-ar-bed de son nom original, selon le point de vue qui nous arrange.

Après avoir vécu ces dernières années dans des territoires montagneux ou de forêt, les retrouvailles avec cette grande matrice salée m’ont beaucoup émue. Un rêve d’enfance qui se réalise, et aussi un appel plus profond, encore mystérieux. Ce qui est sûr, c’est que sur ce territoire, mon sentiment d’émerveillement est grandement nourri par la mer.

Alors pour ces prochaines semaines, dans ce carnet, j’explore cette connexion à la mer et son monde, ancrée sur ce territoire breton, à travers son esprit traditionnel et son âme. J’explore aussi cette connexion avec deux autres prismes: celui de la science et celui de la poésie, du sensible.

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Jade Seishin Jade Seishin

CEUX QUI VONT SUR LA MER

(suite de “Un passé englouti”)

LE SEUIL DE L’AUTRE MONDE

En Penn-Ar-Bed (finistère), la mer devient la porte d’accès d’un autre monde. La pointe du Raz particulièrement, est considérée comme le lieu de départ pour cet autre monde dans la tradition populaire. Le lieu où toutes les âmes des morts, appelées Anaon en breton, viennent pour attendre que le Bag Noz, le bâteau de nuit, les amènent vers cet au-delà, direction plein ouest. A Plogoff on raconte qu’un pêcheur tenait le rôle de passeur pour ces âmes. “Le nom de Tremeneur, ‘le passeur’, signale encore aujourd’hui les familles où se transmettaient de père en fils, cette charge.” (extrait Guide de la Bretagne Mystérieuse)

Pointe du raz, finistère, île de sein au loin

Cette croyance ancienne était sérieusement respectée et ce au-delà des terres bretonnes, puisque le Roi Franc lui même aurait excempt les habitants de ce territoire de payer des taxes, en rapport à cette lourde charge qu’ils portaient.

“Bien que sujets des Francs, les Bretons des côtes d’Armorique ne leur paient cependant aucun tribu. Car ils se disent chargés par les Dieux, de conduire les morts dans l’autre monde.” (documentaire “La Grande Troménie”, de Fabrice Maze)

Cette croyance que la mer de l’ouest abrite une terre d’un autre monde où se rendent les âmes des trépassés, vient très certainement de la tradition celtique. En effet, pour les Celtes, le Tir Na Nog, la Terre des Jeunes, ou l’île d’Avallon, se situe à l’ouest, là où le soleil se couche.

soleil couchant, pointe du raz, Finistère

“Nous sommes ici à l’extrême occident du continent Eurasiatique: il n’y a apparemment plus de terre entre la pointe du Raz et l’endroit inaccessible où le soleil descend dans les flots. Cela suffit pour que l’Armorique ait été considérée comme le lieu d’embarquement des défunts pour l’au-delà, le temple du soleil couchant.” (extrait Guide de la Bretagne Mystérieuse)

L’HERBE D’OR

Dans “L’Herbe d’Or”, écrit par le célèbre auteur breton Pierre Jakez Hélias, Pierre Goazcos fait partie d’une lignée de pêcheurs particulière. En effet, de père en fils, ils naissent avec un appel transcendant de se mettre en quête de l’autre monde. Une quête mystique et existentielle, qui se vit sur la mer de l’ouest.

“Peut-être quelques-uns d’entre eux avaient-ils trouvé le passage, qui sait. Son père, le taciturne, quand son fils hasardait timidement une question sur leur quête ancestrale, se bornait à répondre: cherche toi-même.”

L’histoire commence un lendemain de tempête terrible ayant engendré un raz de marée sur un bout de côte du Finistère. L’évènement est dramatique, les flots ont quasiment tout détruit du village. Certains ont perdus la vie. Heureusement les marins avaient tous évidemment senti la tempête approchée, et s’étaient abstenus de sortir cette nuit là. Tous, sauf un. Pierre Goazcoas et son bâteau L’Herbe d’Or, qui a vu dans cette tempête, le signe parfait pour saisir sa chance d’accéder à l’autre monde. Pourquoi? Parce que la tempête arriva un soir de noël, et l’on dit que le soir de noël, comme les tempêtes, sont des moments où le voile entre les mondes s’efface…

Je suis arrivée à Douarnenez par un soir de tempête. Quand on vit sur la côte, le vent est une présence aussi importante que la mer. Ces deux éléments se fuient, se cherchent, s’affrontent et dansent ensemble, perpétuellement. Le vent porte les embruns, le vent soulève les vagues, le vent pousse les voiles. Aux habitants, il leur fait remarquer sa présence par son chant, insistant, qui semble vouloir entrer par les fenêtres et la moindre ouverture de leurs maisons. Il est parfois d’humeur tranquille, et leur chante des berceuses douces pour les endormir. Parfois d’humeur taquine ou ravageuse, et quand il décide de s’allier à la mer, la tempête donne naissance au raz de marée.

Mais les tempêtes, malgré les naufrages et les disparus, n’arrêtent pas ceux qui vont sur la mer, d’y retourner.

LA MER(E) DES MARINS

Dans ma famille côté paternel, le lien avec la mer est très fort, elle fait quasiment partie de la famille. Les hommes sont marins-pêcheurs en territoire vendéen depuis plusieurs générations et les femmes, femmes de marins, mères de pêcheurs. La mer on la respecte, on la craint, on lui doit tout, la vie et la mort. On la chante, on la prie, on se tait dans un silence que seuls ceux qui la prennent savent de quoi parle ce silence. Mon grand-père aimait me raconter, non sans fierté, la dure vie de marin. Les nuits sans sommeil, à veiller au milieu d’une mer déchaînée, les rencontres avec les dauphins qui souvent s’amusent à accompagner un temps les bateaux des pêcheurs, les histoires terribles de naufrages. Ma grand-mère elle, me racontait la vie d’une femme de marin, celle qui reste à terre à attendre le retour sain et sauf de son mari, à passer les jours de son absence à assumer les tâches et responsabilités du quotidien seule, avec une oreille toujours branchée sur la radio qui diffuse en continue les nouvelles de ceux partis en mer. A prier plusieurs fois par jour, pour ne pas entendre la voix du présentateur prononcer le nom de son mari parmi un des disparus.

Mer de mon enfance

Face à la mer, on reconnaît avec humilité sa puissance, sa force qui nous dépasse nous humains. Alors on la prie, pour la remercier de ce qu’elle nous donne, pour lui montrer notre respect, pour lui demander d’épargner nos vies. On lui parle, comme une entité à part entière, avec son intelligence, son caractère, ses exigences.

On le fait individuellement, intérieurement, dans nos petites habitudes et tâches du quotidien. Et collectivement, lors de longues soirées entre proches et voisins à chanter (fort) les chants de marins, ou aussi plus dramatiquement, lors d’un rituel de recueillement: la fête de la mer. Pendant cette journée, qui a lieu en été généralement, les bateaux des marins sortent ensemble au large du port, accompagnés par le bateau de la SNSM (sauveteurs en mer). Les navires sont chargés de grandes gerbes de fleurs, qui sont lancées sur l’eau en l’honneur des âmes des frères perdus, avalés par les flots. Petite, je montais à bord du bateau de mon oncle lors de cette fête, et je sentais la profondeur derrière le visage de ces hommes. Ils semblaient porter le poids d’un mystère dont ils sont les gardiens,et qu’ils ne peuvent dévoiler.

Pour ces humains vivant en étroite relation avec la mer, celle-ci est généreuse car elle donne la vie en offrant une abondance de nourriture. Elle est aussi dangereuse et fatale, en prenant la vie de certains d’entre eux.

Bateau de la SNSM présent lors du pardon de la mer

(Précédent: Armor)

A SUIVRE: MER(E), PARDON

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UN PASSÉ ENGLOUTI

(suite de “Les Reines de l’Armor”)

Et oui, en Armor, la mer est aussi gardienne d’un passé révolu, de villes et cités englouties. La plus connue est bien la ville d’Ys, dont la réalité et la position sont encore sujet à débat. Certains la situeraient au large du cap, quand d’autres la situent en pleine baie de Douarnenez, et d’autres encore seulement dans le territoire de la légende. Son histoire est cependant remplie de quelques détails pouvant ouvrir la question sur sa réalité. Elle aurait existé vers le milieu du second millénaire av JC, époque de commerce où de riches marchands étrangers venaient en nombre en son port. La ville prospère était protégée derrière une digue de granit, et vivait en dessous du niveau de la mer. Sa richesse aurait fini par amener la ville à la débauche, et son destin fut donc d’être engloutie par la mer à cause de la traitrise de la fille du Roi: Dahud, aurait donné les clés de la ville à un de ses amants qui n’était autre que le Diable.

Panneau sur la ville d’Ys en baie de Douarnenez

Mais il existe une version différente de cette histoire, antérieure à celle que tout le monde connaît - qui est en fait la version chrétienne. Dans l’histoire pré-chrétienne, la légende raconte que Dahud ne tuait pas ses amants (comme le dit la version chrétienne) bien au contraire, elle les initiait aux Mystères et leur permettait d’atteindre leur excellence autant physiquement que spirituellement. Et quand la ville fut engloutie par la montée des eaux, Dahud tenta même de sauver les jeunes gens. “Dans sa forme ancienne, cette légende illustre les cultes druidiques dédiés à la mer, aux sources et aux fontaines. Dahud, la princesse fée disparue, manifestait l’ancienne connaissance des Celtes et illustrait l’espoir de Renaissance.”(R.J. Thibaud)

Il y a encore quelques générations, certains habitants de Douarnenez se targuaient d’avoir récupérer de précieux objets de la cité engloutie…

En tout cas, les deux versions s’accordent pour dire que la cité merveilleuse d’Ys était la plus belle ville du monde, et que par ailleurs si Lutèce a changé son nom en Paris, c’est pour la raison bien simple que Par Is signifie en breton, “pareille à Is” et comme le dit le proverbe: “Abaoue ma beuzet Ker Is, N’eus kavet den par da Baris”. / “Depuis que fut noyée la ville d’Is, on n’en a point trouvé d’égale à Paris.” Ys a-t-elle réellement existé? Peut-être nous le saurons un jour, si des bouleversements climatiques nous le révèlent, comme le dit une prophétie de Cornouaille: “Pa Vo beuzet Paris, Ec’h adsavo Ker Is.” / “Quand Paris sera englouti, Resurgira la ville d’Ys.”

La capitale du Roi Gradlon n’est pas la seule histoire de terre engloutie au large des côtes bretonnes. Tout autour du littoral nous pouvons trouver la trace de ce genre de récits. Côte nord, dans la baie du Mont Saint Michel, cela serait pas moins de 9 villages ayant disparus sous la mer! Un peu plus loin dans la baie de Saint-Brieux, la tradition rapporte la ville engloutie de Nazado. Au sud, à l’ouest de Quiberon, le plateau des Birvideaux sur lequel se tient aujourd’hui un phare solitaire, serait d’après une autre légende, l’ancienne ville d’Aise, qui fut engloutie avec ses habitants les Birvideaux.

Excellent article alliant recherches archéologiques et tradition orale pour en savoir plus sur cette légende https://prehistoire-atlantique.blogspot.com/2021/01/sous-locean-lile-mysterieuse-des.html

QUAND LA MER MANGE LA TERRE

“Les falaises reculent, sapées à leur base, et avec elles s’effondrent un jour ou l’autre les maisons, les villages et les châteaux qu’on y a construits.”

L’existence de certaines de ces villes ou anciennes terres englouties est aujourd’hui avérée, et leur disparition s’explique par les mutations du trait de côte provoqués par plusieurs facteurs à des temporalités différentes:

AUGMENTATION DU NIVEAU DE LA MER

Depuis la fin de la dernière glaciation il y a environ 11 000 ans, le niveau de la mer a augmenté de 120 mètres.

carte sur le panneau officiel à l’île aux moines montrant l’évolution du niveau de la mer

Morbihan: Sirènes ou pas, le niveau de la mer a bel et bien augmenté et créée cette petite mer, submergeant une ancienne forêt. Aujourd’hui les îles du golfe sont en fait les plus hauts sommets du relief d’un paysage passé. Les mégalithes sous l’eau à Er Lannic en sont les témoins.

Er Lannic dans le golfe du morbihan où certains mégalithes se trouvent aujourd’hui sous l’eau

Finistère: Tel que dans la baie de Douarnenez, des sépultures de l’âge de bronze, au niveau de l’île Salgren. Restes néolithiques enfouis dans le sable aussi à Ty Anquer en Ploévez et sûrement dans beaucoup d’autres endroits autour du littoral.

MOUVEMENTS DE L’ECORCE TERRESTRE

“Tout au long des côtes bretonnes existent aussi les signes manifestes d’un enfoncement du sol. La preuve qui, aux yeux des geographes permet d’affirmer ce mouvement dans le sens de l’apesanteur, est constituée par l’existence de vallées ennoyées: on appelle ainsi ces vallées où coule une rivière au lit démesurée lorsque la marée est basse et qui ne se remplit qu’au moment du flux.” *

Ces vallées ennoyées sont communément appelées ria ou aber en breton. Le nom de Quimper, Kemper, est une composition des termes ken et aber. La ville est située à 18 km de la côte, et voit chaque jour la mer venir baigner ses quais et se retirer à marée basse en laissant un mince filet d’eau. Il en de même pour Morlaix, à 10 km du rivage, et de nombreux autres villes et villages bretons.

TREMBLEMENTS DE TERRE + RAZ DE MARÉE = …

La Bretagne est une des régions de France où les sismographes enregistrent le plus grand nombre de tremblements de terre. Ceux-ci peuvent engendrer des raz de marée qui balayent l’intérieur des terres sur de grandes distances. La baie du mont Saint Michel, zone où l’on retrouve le plus de légendes de villes englouties, en ait un exemple dramatique.

A l’origine la baie du Mont Saint-Michel était une vaste zone marécageuse et une grande et ancienne forêt bordait ses terres, s’étendant au sud d’Avranches: la forêt de Scissy. Cette forêt disparue lors d’un cataclysme exceptionnel:

“En mars 709, un tremblement de terre secoua le massif armoricain et provoqua un raz de marée d’une violence considérable. Abattant les arbres, balayant bourgs et hameaux, noyant hommes et bêtes, les flots s’enfoncèrent loin dans les terres et, sur certains points, firent reculer le rivage d’une trentaine de kilomètres.” *

“les renseignements fournis par les relevés de 1704 concordent avec les données de la Tradition populaire et le résultat de l’étude des fonds marins: ils montrent que non seulement les îles de Chausey, de Jersey et d’Aurigny étaient reliés au continent, mais que tout le littoral armoricain était situé à une distance variant entre 10 et 20 km au large du rivage actuel.” *

Le 9 janvier 1735, après une violente tempête qui balaya le sable, on put découvrir à marée basse le bourg englouti de Sainte-Anne près de Cherrueix “on put pénétrer dans les rues, y retrouver entre des murs écroulés le bénitier de l’eglise, le vieux puits et des objets divers.” La marée laisse aussi voir des restes de bois fossilisés, derniers vestiges de la forêt engloutie.

Ainsi en baie du Mont Saint Michel par exemple, les histoires de la Tradition populaire au sujet des villes et villages engloutis de : Porspican, Thomen, La Feuilleste, Maury, Sainte-Anne, Saint-Louis, La Croix-Morel, Colombel, Saint-Etienne de Paluel racontent donc une réalité oubliée.

Une carte des cités disparues du *“Guide de la Bretagne Mystérieuse”, Editions Tchou

Ys? Es-tu là?

A SUIVRE: CEUX QUI VONT SUR LA MER

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LES REINES DE L’ARMOR

vue par la Tradition


ARMOR

C’est le pays breton des habitants du territoire côtier. C’est 2730 km de littoral et 11 îles habitées. C’est le monde des gens de la mer, et de comment ils le racontent, ce monde. C’est ici que j’ai posé mes valises il y a quelques temps.

En Armor, on rencontre la grande famille des marins-pêcheurs et de tous les métiers et artisanats liés au milieu maritime. Néanmoins nous sommes sur le territoire breton. Et sur ce territoire existe une culture, une mentalité bien particulière que je (re)découvre avec enchantement. Ici le territoire est aussi façonné par la tradition, les légendes, et les histoires que les humains racontent depuis des générations. Ici les vivants ne valent pas mieux que les morts. Ici les humains ne valent pas mieux que les enchanteurs, les arbres, pierres et sources sacrées, les sirènes, les fantômes et les fées. Ici la mort a un nom et une silhouette. Et la mer, en plus d’être le territoire des marins, est porteuse de mystères et étrangetés.

Sentier côtier aux abords de Douarnenez

LA DEMEURE DES MORGANES

Car oui, ici, la mer est aussi la demeure du peuple des sirènes. C’est par le morbihan que je suis entrée en bretagne, et par lui que j’ai commencé à trouver la trace des histoires de ces êtres. “Il est dit qu’au commencement du monde le golfe du morbihan n’existait pas.” Mor-bihan, “petite mer” en breton, aurait été créée par un évènement dramatique impliquant les humains, les fées et les sirènes. Ce sont ces dernières qui, par jalousie des fées peuplant la forêt existant alors, auraient favorisé l’arrivée des hommes, et avec eux, la destruction de l’ancienne forêt sacrée des fées. Le chagrin de celles-ci fut si grand, leurs larmes coulèrent si longtemps, qu’elles donnèrent naissance à la petite mer où aujourd’hui subsistent quelques bouts de terre, quelques îles et îlots sur lesquelles on entend parfois encore aujourd’hui se raconter des histoires de sirènes.

Pêcheurs au large de l’île aux moines, golfe du morbihan

Les sirènes on les craint, surtout si on est pêcheur. Morgane est l’autre nom qu’on leur donne en Armor. Paul-Yves Sébillot dans Le Folklore de la Bretagne: “Elles (les sirènes) n’ont pas toujours été des êtres fabuleux. Sur la côte bretonne, on a recueilli un certain nombre de témoignages de pêcheurs affirmant qu’ils ont réellement vu des sirènes. Il est curieux de constater que ces témoignages sont corroborés par ceux recueilli sur les côtes britanniques et de Guernesey.” Dans une de ces histoires, un navire en partance de Saint Malo, les marins rencontrèrent Basquienne, la reine des fées de la mer. Celle-ci leur donna un conseil: “Dans quelque port que vous vous trouviez, avant de mouiller votre ancre criez ‘Fées de la mer, êtes-vous là?’ Car si elle venait à tomber sur une seule fée de la mer, vous seriez tous perdus”.

Au cap Sizun, une des pointes du Penn-Ar-Bed (Finistère), nous sommes sur le territoire de la Mary Morgane, une autre reine de la mer. Son histoire est fabuleuse. Avant d’être femme-sirène sous ce nom, elle était terrienne et fille d’un Roi, le Roi Gradlon, qui régnait sur une bonne partie de la Cornouaille et dont le siège se trouvait dans la légendaire ville d’Ys, dans ce qui est aujourd’hui la baie de Douarnenez. La fille du Roi qui s’appelait alors Dahud, se trouva changée en sirène après avoir été jetée à la mer par son père, car Dahud aurait vendu Ys au Diable, et ainsi causé la destruction de la puissante cité.

Épave dans une crique de Douarnenez

L’ÂME DU LIEU

En arrivant à Douarnenez, je n’avais pas connaissance de l’existence de ces légendes de sirènes par ici, j’avais plutôt en tête celle de la ville d’Ys. Les premiers jours, j’ai commencé mon exploration des lieux par les falaises qui jouxtent la ville. Au premier abord, elles avaient pour moi une aura limite désagréable ou dérangeante. En descendant dans les criques, j’ai pu approfondir et distinguer un peu mieux ce malaise. Il semblait me dire que cet endroit est un monde qui n’est pas celui des humains, mais celui d’autres présences appartenant à la mer. J’avais en effet vivement l’impression de marcher dans un lieu qui devrait être sous la mer. Un lieu qui aurait surgit des fonds marins. C’est là que les sirènes me sont venues à l’esprit, avec une pensée poétique disant: “Ici, jadis, se tenait le royaume des sirènes.”

Les sirènes et êtres de la mer sont-elles réelles ? Ou ont-elles pu réellement exister par le passé ? Peu importe, car ce qui importe c’est que ces histoires reflètent l’âme du territoire. Ces histoires sont l’énergie, la sensibilité, l’esprit du lieu. Sa légende tout simplement, mais pas dans un sens fiction, légende dans le sens identité. C’est ce qu’il est. Autrement dit, pour moi, Douarnenez a l’âme d’une sirène et des fonds marins.

Et comme pour me confirmer ce ressenti, sur le chemin du retour, en repassant par le petit hameau médiéval qui se trouve au début du chemin de randonnée, je remarquais une boite à livres que je n’avais pas vu à l’aller. J’eus envie d’y jeter un oeil, il ne s’y trouvait rien d’intéressant si ce n’est un tout petit livre, que j’aurai pu raté si je n’avais pas pris le temps de bien regarder. C’est son titre qui m’accrocha le regard : “Petites histoires de Sirènes bretonnes”.

C’est ainsi que, tout juste après avoir vécu cette drôle de sensation dans laquelle les sirènes me sont venues à l’esprit, je me vis offrir par le “hasard” ce recueil de légendes et histoires de sirènes, racontées par des humains qui vécurent sur ce territoire, et qui eurent leur propre expérience avec cette âme de Morganes, et d’êtres de la mer…

Lecture extrait de ce receuil: “La Mary Morgane de l’île de Sein” rapportée par Anatole Le Braz dans “La Légende de la mort”, 1893


A SUIVRE: UN PASSÉ ENGLOUTI

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