UN PASSÉ ENGLOUTI
(suite de “Les Reines de l’Armor”)
Et oui, en Armor, la mer est aussi gardienne d’un passé révolu, de villes et cités englouties. La plus connue est bien la ville d’Ys, dont la réalité et la position sont encore sujet à débat. Certains la situeraient au large du cap, quand d’autres la situent en pleine baie de Douarnenez, et d’autres encore seulement dans le territoire de la légende. Son histoire est cependant remplie de quelques détails pouvant ouvrir la question sur sa réalité. Elle aurait existé vers le milieu du second millénaire av JC, époque de commerce où de riches marchands étrangers venaient en nombre en son port. La ville prospère était protégée derrière une digue de granit, et vivait en dessous du niveau de la mer. Sa richesse aurait fini par amener la ville à la débauche, et son destin fut donc d’être engloutie par la mer à cause de la traitrise de la fille du Roi: Dahud, aurait donné les clés de la ville à un de ses amants qui n’était autre que le Diable.
Panneau sur la ville d’Ys en baie de Douarnenez
Mais il existe une version différente de cette histoire, antérieure à celle que tout le monde connaît - qui est en fait la version chrétienne. Dans l’histoire pré-chrétienne, la légende raconte que Dahud ne tuait pas ses amants (comme le dit la version chrétienne) bien au contraire, elle les initiait aux Mystères et leur permettait d’atteindre leur excellence autant physiquement que spirituellement. Et quand la ville fut engloutie par la montée des eaux, Dahud tenta même de sauver les jeunes gens. “Dans sa forme ancienne, cette légende illustre les cultes druidiques dédiés à la mer, aux sources et aux fontaines. Dahud, la princesse fée disparue, manifestait l’ancienne connaissance des Celtes et illustrait l’espoir de Renaissance.”(R.J. Thibaud)
Il y a encore quelques générations, certains habitants de Douarnenez se targuaient d’avoir récupérer de précieux objets de la cité engloutie…
En tout cas, les deux versions s’accordent pour dire que la cité merveilleuse d’Ys était la plus belle ville du monde, et que par ailleurs si Lutèce a changé son nom en Paris, c’est pour la raison bien simple que Par Is signifie en breton, “pareille à Is” et comme le dit le proverbe: “Abaoue ma beuzet Ker Is, N’eus kavet den par da Baris”. / “Depuis que fut noyée la ville d’Is, on n’en a point trouvé d’égale à Paris.” Ys a-t-elle réellement existé? Peut-être nous le saurons un jour, si des bouleversements climatiques nous le révèlent, comme le dit une prophétie de Cornouaille: “Pa Vo beuzet Paris, Ec’h adsavo Ker Is.” / “Quand Paris sera englouti, Resurgira la ville d’Ys.”
La capitale du Roi Gradlon n’est pas la seule histoire de terre engloutie au large des côtes bretonnes. Tout autour du littoral nous pouvons trouver la trace de ce genre de récits. Côte nord, dans la baie du Mont Saint Michel, cela serait pas moins de 9 villages ayant disparus sous la mer! Un peu plus loin dans la baie de Saint-Brieux, la tradition rapporte la ville engloutie de Nazado. Au sud, à l’ouest de Quiberon, le plateau des Birvideaux sur lequel se tient aujourd’hui un phare solitaire, serait d’après une autre légende, l’ancienne ville d’Aise, qui fut engloutie avec ses habitants les Birvideaux.
Excellent article alliant recherches archéologiques et tradition orale pour en savoir plus sur cette légende https://prehistoire-atlantique.blogspot.com/2021/01/sous-locean-lile-mysterieuse-des.html
QUAND LA MER MANGE LA TERRE
“Les falaises reculent, sapées à leur base, et avec elles s’effondrent un jour ou l’autre les maisons, les villages et les châteaux qu’on y a construits.”
L’existence de certaines de ces villes ou anciennes terres englouties est aujourd’hui avérée, et leur disparition s’explique par les mutations du trait de côte provoqués par plusieurs facteurs à des temporalités différentes:
AUGMENTATION DU NIVEAU DE LA MER
Depuis la fin de la dernière glaciation il y a environ 11 000 ans, le niveau de la mer a augmenté de 120 mètres.
carte sur le panneau officiel à l’île aux moines montrant l’évolution du niveau de la mer
Morbihan: Sirènes ou pas, le niveau de la mer a bel et bien augmenté et créée cette petite mer, submergeant une ancienne forêt. Aujourd’hui les îles du golfe sont en fait les plus hauts sommets du relief d’un paysage passé. Les mégalithes sous l’eau à Er Lannic en sont les témoins.
Er Lannic dans le golfe du morbihan où certains mégalithes se trouvent aujourd’hui sous l’eau
Finistère: Tel que dans la baie de Douarnenez, des sépultures de l’âge de bronze, au niveau de l’île Salgren. Restes néolithiques enfouis dans le sable aussi à Ty Anquer en Ploévez et sûrement dans beaucoup d’autres endroits autour du littoral.
MOUVEMENTS DE L’ECORCE TERRESTRE
“Tout au long des côtes bretonnes existent aussi les signes manifestes d’un enfoncement du sol. La preuve qui, aux yeux des geographes permet d’affirmer ce mouvement dans le sens de l’apesanteur, est constituée par l’existence de vallées ennoyées: on appelle ainsi ces vallées où coule une rivière au lit démesurée lorsque la marée est basse et qui ne se remplit qu’au moment du flux.” *
Ces vallées ennoyées sont communément appelées ria ou aber en breton. Le nom de Quimper, Kemper, est une composition des termes ken et aber. La ville est située à 18 km de la côte, et voit chaque jour la mer venir baigner ses quais et se retirer à marée basse en laissant un mince filet d’eau. Il en de même pour Morlaix, à 10 km du rivage, et de nombreux autres villes et villages bretons.
TREMBLEMENTS DE TERRE + RAZ DE MARÉE = …
La Bretagne est une des régions de France où les sismographes enregistrent le plus grand nombre de tremblements de terre. Ceux-ci peuvent engendrer des raz de marée qui balayent l’intérieur des terres sur de grandes distances. La baie du mont Saint Michel, zone où l’on retrouve le plus de légendes de villes englouties, en ait un exemple dramatique.
A l’origine la baie du Mont Saint-Michel était une vaste zone marécageuse et une grande et ancienne forêt bordait ses terres, s’étendant au sud d’Avranches: la forêt de Scissy. Cette forêt disparue lors d’un cataclysme exceptionnel:
“En mars 709, un tremblement de terre secoua le massif armoricain et provoqua un raz de marée d’une violence considérable. Abattant les arbres, balayant bourgs et hameaux, noyant hommes et bêtes, les flots s’enfoncèrent loin dans les terres et, sur certains points, firent reculer le rivage d’une trentaine de kilomètres.” *
“les renseignements fournis par les relevés de 1704 concordent avec les données de la Tradition populaire et le résultat de l’étude des fonds marins: ils montrent que non seulement les îles de Chausey, de Jersey et d’Aurigny étaient reliés au continent, mais que tout le littoral armoricain était situé à une distance variant entre 10 et 20 km au large du rivage actuel.” *
Le 9 janvier 1735, après une violente tempête qui balaya le sable, on put découvrir à marée basse le bourg englouti de Sainte-Anne près de Cherrueix “on put pénétrer dans les rues, y retrouver entre des murs écroulés le bénitier de l’eglise, le vieux puits et des objets divers.” La marée laisse aussi voir des restes de bois fossilisés, derniers vestiges de la forêt engloutie.
Ainsi en baie du Mont Saint Michel par exemple, les histoires de la Tradition populaire au sujet des villes et villages engloutis de : Porspican, Thomen, La Feuilleste, Maury, Sainte-Anne, Saint-Louis, La Croix-Morel, Colombel, Saint-Etienne de Paluel racontent donc une réalité oubliée.
Une carte des cités disparues du *“Guide de la Bretagne Mystérieuse”, Editions Tchou
Ys? Es-tu là?