LES REINES DE L’ARMOR


ARMOR

C’est le pays breton des habitants du territoire côtier. C’est 2730 km de littoral et 11 îles habitées. C’est le monde des gens de la mer, et de comment ils le racontent, ce monde. C’est ici que j’ai posé mes valises il y a quelques temps.

En Armor, on rencontre la grande famille des marins-pêcheurs et de tous les métiers et artisanats liés au milieu maritime. Néanmoins nous sommes sur le territoire breton. Et sur ce territoire existe une culture, une mentalité bien particulière que je (re)découvre avec enchantement. Ici le territoire est aussi façonné par la tradition, les légendes, et les histoires que les humains racontent depuis des générations. Ici les vivants ne valent pas mieux que les morts. Ici les humains ne valent pas mieux que les enchanteurs, les arbres, pierres et sources sacrées, les sirènes, les fantômes et les fées. Ici la mort a un nom et une silhouette. Et la mer, en plus d’être le territoire des marins, est porteuse de mystères et étrangetés.

Sentier côtier aux abords de Douarnenez

LA DEMEURE DES MORGANES

Car oui, ici, la mer est aussi la demeure du peuple des sirènes. C’est par le morbihan que je suis entrée en bretagne, et par lui que j’ai commencé à trouver la trace des histoires de ces êtres. “Il est dit qu’au commencement du monde le golfe du morbihan n’existait pas.” Mor-bihan, “petite mer” en breton, aurait été créée par un évènement dramatique impliquant les humains, les fées et les sirènes. Ce sont ces dernières qui, par jalousie des fées peuplant la forêt existant alors, auraient favorisé l’arrivée des hommes, et avec eux, la destruction de l’ancienne forêt sacrée des fées. Le chagrin de celles-ci fut si grand, leurs larmes coulèrent si longtemps, qu’elles donnèrent naissance à la petite mer où aujourd’hui subsistent quelques bouts de terre, quelques îles et îlots sur lesquelles on entend parfois encore aujourd’hui se raconter des histoires de sirènes.

Pêcheurs au large de l’île aux moines, golfe du morbihan

Les sirènes on les craint, surtout si on est pêcheur. Morgane est l’autre nom qu’on leur donne en Armor. Paul-Yves Sébillot dans Le Folklore de la Bretagne: “Elles (les sirènes) n’ont pas toujours été des êtres fabuleux. Sur la côte bretonne, on a recueilli un certain nombre de témoignages de pêcheurs affirmant qu’ils ont réellement vu des sirènes. Il est curieux de constater que ces témoignages sont corroborés par ceux recueilli sur les côtes britanniques et de Guernesey.” Dans une de ces histoires, un navire en partance de Saint Malo, les marins rencontrèrent Basquienne, la reine des fées de la mer. Celle-ci leur donna un conseil: “Dans quelque port que vous vous trouviez, avant de mouiller votre ancre criez ‘Fées de la mer, êtes-vous là?’ Car si elle venait à tomber sur une seule fée de la mer, vous seriez tous perdus”.

Au cap Sizun, une des pointes du Penn-Ar-Bed (Finistère), nous sommes sur le territoire de la Mary Morgane, une autre reine de la mer. Son histoire est fabuleuse. Avant d’être femme-sirène sous ce nom, elle était terrienne et fille d’un Roi, le Roi Gradlon, qui régnait sur une bonne partie de la Cornouaille et dont le siège se trouvait dans la légendaire ville d’Ys, dans ce qui est aujourd’hui la baie de Douarnenez. La fille du Roi qui s’appelait alors Dahud, se trouva changée en sirène après avoir été jetée à la mer par son père, car Dahud aurait vendu Ys au Diable, et ainsi causé la destruction de la puissante cité.

Épave dans une crique de Douarnenez

L’ÂME DU LIEU

En arrivant à Douarnenez, je n’avais pas connaissance de l’existence de ces légendes de sirènes par ici, j’avais plutôt en tête celle de la ville d’Ys. Les premiers jours, j’ai commencé mon exploration des lieux par les falaises qui jouxtent la ville. Au premier abord, elles avaient pour moi une aura limite désagréable ou dérangeante. En descendant dans les criques, j’ai pu approfondir et distinguer un peu mieux ce malaise. Il semblait me dire que cet endroit est un monde qui n’est pas celui des humains, mais celui d’autres présences appartenant à la mer. J’avais en effet vivement l’impression de marcher dans un lieu qui devrait être sous la mer. Un lieu qui aurait surgit des fonds marins. C’est là que les sirènes me sont venues à l’esprit, avec une pensée poétique disant: “Ici, jadis, se tenait le royaume des sirènes.”

Les sirènes et êtres de la mer sont-elles réelles ? Ou ont-elles pu réellement exister par le passé ? Peu importe, car ce qui importe c’est que ces histoires reflètent l’âme du territoire. Ces histoires sont l’énergie, la sensibilité, l’esprit du lieu. Sa légende tout simplement, mais pas dans un sens fiction, légende dans le sens identité. C’est ce qu’il est. Autrement dit, pour moi, Douarnenez a l’âme d’une sirène et des fonds marins.

Et comme pour me confirmer ce ressenti, sur le chemin du retour, en repassant par le petit hameau médiéval qui se trouve au début du chemin de randonnée, je remarquais une boite à livres que je n’avais pas vu à l’aller. J’eus envie d’y jeter un oeil, il ne s’y trouvait rien d’intéressant si ce n’est un tout petit livre, que j’aurai pu raté si je n’avais pas pris le temps de bien regarder. C’est son titre qui m’accrocha le regard : “Petites histoires de Sirènes bretonnes”.

C’est ainsi que, tout juste après avoir vécu cette drôle de sensation dans laquelle les sirènes me sont venues à l’esprit, je me vis offrir par le “hasard” ce recueil de légendes et histoires de sirènes, racontées par des humains qui vécurent sur ce territoire, et qui eurent leur propre expérience avec cette âme de Morganes, et d’êtres de la mer…

Lecture extrait de ce receuil: “La Mary Morgane de l’île de Sein” rapportée par Anatole Le Braz dans “La Légende de la mort”, 1893


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