CHAPITRE 3: QUAND J’SERAI GRANDE
Quelque part en Penn Ar Bed… un jour de printemps 2025…
La scène me paraît presque surréaliste. Et pourtant chaque matin quand je me lève depuis quelques semaines, elle se déroule devant mes yeux. C’est drôle comme, rendre ses rêves réalité rend la réalité irréelle, comme si, paradoxalement, elle était devenu …. un rêve.
“J'en ai rêvé de ma maison avec vue sur la mer
J'en ai rêvé tout comme toi, tout comme eux
On a tous un air d'évasion dans le sang ou dans les veines
Cherche pas j'crois qu'ça c'est dans les gènes
On veut tous partir et chacun ses raisons
Martyr ou pas, bref pas de comparaisons
Chacun ses peines, chacun son mal-être
Chacun son thème, chacun sa cause donc chacun sa lettre”
CHOISIR SON LIEU DE RENAISSANCE
1. Mon vrai “chez moi”
C’est quoi un vrai chez soi ?
La dernière fois que j’étais “à la maison”, c’était il y a une dizaine d’années quand je vivais encore à Paris. Mais c’était une maison (Paris) par défaut, je suis née et j’ai grandi là-bas. Je l’ai quittée justement parce que je ne m’y sentais plus chez moi. Malgré tout, je l’ai vécu comme une rupture. J’ai fais mon deuil.
Paris n’avait pas changé, mais moi si. Je répondais à l’appel de mon âme qui me demandait de rentrer à mon vrai chez moi: cette maison intérieure, là où vit mon âme. Elle m’appelait à elle, de toutes ses forces, me priait de la retrouver, la rencontrer de nouveau et faire corps avec elle.
“Où est-ce, chez nous? Chez nous c’est un lieu intérieur, qui parfois se situe dans le temps plutôt que dans l’espace, là où la femme se sent entière. “
“Chez soi c’est un état d’humeur ou une impression qui nous permet d’éprouver de manière soutenue des sentiments que l’on ne peut pas toujours éprouver de la sorte dans la vie courante: l’émerveillement, la vision, la paix, l’absence de soucis et de demandes à notre égard.” - Clarissa Pinkola Estes, Femmes qui courent avec les loups
Comment retrouver le chemin de ce chez soi? C’est l’objet de toute une quête héroique, une odyssée en territoire intérieur, parsemée d’épreuves, d’embuches, de monstres, de prairies, grottes secrètes et autres réjouissances. Quête que j’ai traversée pendant ces dix dernières années. Prendre le chemin de retour chez soi, c’est un état d’esprit, d’être, que j’appellerai l’état chrysalide.
Ce chemin intérieur s’est aussi matérialisé à l’extérieur dans ma manière de vivre dans le monde, évidemment. Paradoxalement, plus je cheminais vers mon âme, vers mon chez moi, plus je me sentais amenée à partir loin, à l’autre bout du monde, dans des territoires et cultures totalement différentes de la mienne. J’avais soif d’inconnu, de sentiment de non-familiarité, plus pour la perte de repères elle-même que pour la découverte de ces nouvelles cultures. D’ailleurs dès que je commençais à m’y sentir trop confortable, il me fallait partir, de nouveau, vers un autre inconnu.
Car c’est dans cet interstice de non-repère matériel, d’inconfort, de désorientation presque, que j’apercevais le chemin vers mon chez moi, que j’entendais mon âme, que j’étais avec elle. De plus en plus proche. Le plus important fut donc, pendant un temps, de rester dans ce mouvement vers l’inconnu qui nourrissait le processus de retour à soi: en apprenant à accepter le détachement de l’extérieur, je me rendais alors disponible pour ma vie intérieure. Ainsi j’appris à me sentir bien peu importe où je me trouve.
“Il y a de nombreux lieux physiques où l’on peut se rendre pour “sentir” le chemin du retour vers ce domicile très particulier, mais l’endroit physique lui-même n’est pas ce chez soi.” - Clarissa Pinkola Estes, Femmes qui courent avec les loups
Pas à pas j’ai parcouru le chemin, j’ai tiré le fil d’Ariane vers mon âme et nous nous sommes retrouvées. Je me suis réinstallée dans cette demeure intérieure, ce qui m’a demandé d’apprendre comment m’y sentir chez moi, confortable, à l’aise. “Enfin te revoilà!”, me dit mon âme. Et moi je dis, “enfin, la maison”.
Il me fallut m’habiter avant d’habiter dans le monde.
Dès lors disons que je ne cherchais plus mon chez moi, mais un lieu en résonance pour me permettre d’atterrir, un sol fertile et nourricier pour ancrer les racines de cette maison et donner corps à ma renaissance dans le monde.
2. Retour aux origines
Comme L’alchimiste de Paulo Coelho, j’ai eu besoin d’aller découvrir les trésors d’autres territoires avant de prendre conscience de la valeur de celui que j’avais sous mes pieds depuis le début: mes racines.
« Achète-toi un troupeau et va courir le monde, jusqu’au jour où tu apprendras que notre château est le plus digne d’intérêt” - L’Alchimiste, Paulo Coelho
“Le voyageur doit frapper à la porte des autres avant d’en venir à la sienne car il faut errer par tous les mondes extérieurs avant d’atteindre enfin le naos intérieur”. - Tagore
C’est sur la terre de mes ancêtres maternelles que, une fois rentrée chez moi en moi, mes pieds m’ont ramenée. Au terme de ce long voyage intérieur, à l’aube de ma renaissance, mes pieds ont reconnu leur sol fertile. Si mon âme appartient au mouvement éternel, mon corps lui semble appartenir à cette terre. Et voilà que je commence à comprendre enfin ce sentiment d’appartenance à un territoire dont parlent les peuples traditionnels comme les Kogis en Colombie: “Le territoire ne nous appartient pas. Nous appartenons au territoire.”
Aujourd’hui je sais que, si je n’avais pas d’abord retrouvée ma maison intérieure, il est probable que je n’aurai même pas reconnu cette maison extérieure, ce territoire, comme le mien. Je serai passée devant sans entendre son appel, sans reconnaître sa vibration familière puisque sa vibration entre en résonance avec celle de mes profondeurs. Si je ne reconnais pas la vibration intérieurement, comment pourrai-je la reconnaître extérieurement? Il fallait d’abord que j’accepte d’appartenir à mon âme avant que je puisse sentir à quelle terre mon corps appartient.
Ainsi, c’est ici, sur la terre de mes origines, que mon âme a choisi de prendre corps pour sa renaissance dans le monde. Le processus d’incarnation suit son cours.
3. Un rêve d’enfance
“Pour commencer, pensée pour ceux levés de bonne heure
Qui bossent dur, imposture d'une vie sans trop d'saveur
Qui bossent 11 mois pour partir comme Papa
Un mois en vacances, qui économisent sinon ça passe pas
Ceux qui passent leurs week-ends dans les parcs
Et attendent leurs vacances, comme les Français que les Alliés débarquent
Quand j'étais gosse, j'avais de l'appréhension, de l'ambition
J'disais par amour, pas par prétention
Quand j'serai grand, j'veux habiter à la mer, avec mon père et ma mère
Marcher dans l'sable plus prendre le R.E.R
J'avais dix ans, c'était en 81, on est en 98 frérot, j'ai pas changé d'numéro”
J’avais 14 ans, c’était en 2005, je prenais le RER B de ma banlieue sud pour aller à Denfert Rochereau. Je regardais par la fenêtre le paysage défilé, les bâtiments gris, les graffitis, le goudron. Je rêvais de vivre à la mer, et j’écoutais Fabe.
Ce souvenir m’est revenu quand je me suis installée ici, dans cette maison en Finistère, que je me suis posée devant la vue de ma chambre, et que je suis restée longuement émue le regard plongé dans cette mer si proche, là juste devant moi. Je suis retombée sur le son de Fabe quelques jours plus tard, j’ai eu l’impression que ces 25 années qui séparent ce souvenir de cet instant n’était qu’un claquement de doigt. Une ellipse.
« c’est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante. » - L’alchimiste, Paulo Coelho
Pourtant le chemin fut bien réel, long et souvent difficile. Oh que j’en ai rêvé oui de ce quotidien, de cette vie que je mène aujourd’hui! Je suis arrivée dans cette maison de manière totalement improbable et imprévue: je venais chercher une cafetière, pas une maison! Aussi je poursuivais d’autres rêves à ce moment là, et celui-ci je l’avais un peu mis de côté, comme si je m’étais résignée, mais mon coeur lui, il faut croire, ne l’avait pas oublié.
un bout de mer de mon enfance
Carl Jung disait: “Il serait beaucoup plus simple d’admettre notre pauvreté spirituelle… Quand l’esprit se fait lourd, il se change en eau…
Le chemin de l’âme, mène donc à l’eau. “
Aujourd’hui en écrivant ces lignes face à la mer depuis ma maison, j’ai envie de prendre le temps de regarder en arrière. Non pas pour verser dans la nostalgie, mais pour honorer le chemin parcouru, me souvenir d’où je suis partie. Peut être pour mieux réaliser que je vis un rêve éveillé. Car, après avoir passé tant d’années sur l’effort du chemin, je sens comme il peut être facile d’oublier de déposer les armes et les outils, et de simplement se laisser jouir d’être arrivée dans le rêve manifesté. L’effort était devenue ma zone de confort, maintenant je commence à apprendre à accepter de recevoir la paix, l’abondance, la joie.
Aujourd’hui j’ai envie d’envoyer un message d’espoir vers le passé, à cette adolescente écoutant Fabe dans le RER :
Continue d’espérer, et de croire en une vie meilleure. Continue de rêver de toutes tes forces la vie de tes rêves. Ne renonce jamais à tes rêves. Car je te promets qu’un jour, tu te réveilleras un matin, tu auras l’impression d’être encore en train de dormir et de rêver, et pourtant cette fois ce sera bel et bien ta réalité!
« Il possédait un manteau, un livre qu’il pourrait échanger contre un autre, un troupeau de moutons. Le plus important toutefois, c’était que, chaque jour il réalisait le grand rêve de sa vie : voyager. » - L’alchimiste, Paulo Coelho
C’est où chez moi? Chez moi c’est en moi, chez moi c’est sur ce territoire, chez moi c’est la mer, et chez moi c’est surtout, vivre mes rêves.
La boucle est bouclée.
Tout commence par un rêve.
AN DISTRO LE RETOUR
Est-ce vrai ? disaient les arbres sur le bord de la route
Est-ce vrai que tu as choisi de rester là-bas ?
Est-ce vrai ? disaient les arbres sur le bord de la route
Est-ce vrai que ta décision est prise ?
Va où tu veux, disaient les feuilles des arbres
Va où tu veux, fillette
Va où tu veux, disaient les feuilles des arbres
Quand tu reviendras, nous serons là
On n'empêche pas, disaient les fleurs du talus
On n'empêche pas l'envie de courir le monde
On n'empêche pas, disaient les fleurs du talus
Quand tu sera lasse de courir, tu reviendras...
Aucune vie n'en sera changée que la vôtre
Vous souvenez-vous de ce jour tout semblable aux autres
Sinon que les choses étaient claires en votre esprit
Vous souvenez-vous de votre maladie et de votre remède ?
C'est si facile d'"abandonner ses parents et amis"
Plus facile que dans les chansons
C'est facile de faire fi des plus profondes racines
Comme un matelot qui verrait le rivage s'approcher
Et ferait faire demi-tour à son bateau
Personne n'en aura de chagrin, assez de chagrin pour vous commander
Vous souvenez-vous de ce jour tout semblable aux autres
Vous souvenez-vous du temps pourri qu'il faisait
Vous souvenez-vous de la voix du talus et de l'odeur de la rivière ?
C'était ouvert, et toutes les lumières allumées
Pas de "pourquoi", pas de "comment"
La porte était ouverte chez vos amis
La plus précieuse des douleurs, ce point inconnu dans votre cœur
Être aussi libre de partir que de rester
Vous comptiez, en entrant, rendre votre dernière visite
Et vous étiez chez vous pour la première fois.”
Traduction française du texte original en breton de Marthe Vassalo “An Distro” (Le Retour)
https://www.marthevassallo.com/textes-de-chansons/an-distro.html
article publié le 22 aout 2025 lors de la nouvelle lune en Vierge.